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  • izgui5

La diagonale des fous 2023 de Sylvain



Jeudi 19 octobre 2023. Ravine Blanche, Saint Pierre de la Réunion. 19h30. Nous y sommes. Il fait chaud, très chaud même et dans 1h30 sera donné le grand départ de la Diagonale des fous. La tension commence à monter.


Nous avons déjà séjourné à la Réunion il y a une dizaine d'années. 3 semaines de vacances au début juillet dont quelques jours passés dans une chambre d'hôtes du côté de Salazie. Le soir, il n'était pas rare de partager la table avec des locaux se préparant pour le Grand Raid. Je les écoutais avec attention et cette aventure me paraissait alors complètement folle, surhumaine, hors norme. Alors me retrouver là cette année, fou parmi les fous, est juste inimaginable. Mais l'envie d'en découdre, de découvrir les paysages et l'ambiance unique de cette course, est là, très présente et c’est avec beaucoup d’impatience que je l’attends, depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois.


Tout le petit groupe présent sur l’île s’est retrouvé au départ : Brigitte et Clara, notre fille ainée, David qui dispute également la Diagonale et qui est accompagné de sa petite famille ainsi que les quelques Pas Rapides qui ont fait le déplacement : Jean-Claude et Corinne, Alain et Catherine, et Patrick. L’occasion d’immortaliser cet instant :

Avec David, nous entrons dans la zone de départ. Les derniers instants vont nous sembler interminables. Nous arrivons à trouver un coin nous permettant de nous allonger pour éviter la fatigue et nous isoler pour trouver le calme intérieur. Puis vient l'heure de nous séparer, David partant 10mn après moi.

Et enfin je m'élance, à 21h10, dans une ambiance de départ d'étape du tour de France. Les bas-côtés sont noirs de monde, tout le monde encourage tout le monde, crie, tape dans les mains. Ambiance unique à notre niveau surtout que cela s'étale sur les 5 premiers kilomètres le long du front de mer. Puis la route s'élève, le calme revient peu à peu mais jamais très longtemps car le moindre petit hameau traversé est l'occasion de retrouver cette ambiance survoltée avec la musique à fond au fond des « cases » ou des chorales au bord de la route. Il faudra attendre les premiers champs de cannes à sucre pour trouver le silence, la nuit noire, seule la chaleur nous accompagnant toujours depuis le départ. Pour l'instant, tout va bien. Je profite de l'atmosphère de la nuit toujours assez particulière. Le premier ravitaillement, Domaine Vidot, est atteint (jeudi à 22h58). Je ne m'attarde pas trop. Trop de monde et surtout beaucoup trop chaud dans cette petite salle. Nous repartons ensuite sur un single vers le prochain ravitaillement de Notre-Dame de la paix. Ça bouchonne un peu, 2 fois 10mn au ralenti ou même parfois à l’arrêt. J'en profite pour mettre un tee-shirt sec. J'apprendrai plus tard que certains, dont David, sont restés bloqués plus de 2 heures aux mêmes endroits et qu'ils se retrouvent en difficulté avec les barrières horaires.


J'arrive ensuite au ravitaillement du parking aire Nez de Boeuf, le vendredi à 4h09. Il fait toujours nuit. C’est l'occasion de retrouver la petite troupe des Pas rapides Jean Claude, Alain, Patrick, Corinne et Catherine qui ont veillé toute la nuit pour nous attendre ici, David et moi. Ça fait du bien au moral. J’ai parcouru environ 40km depuis le départ et surtout 2500m D+. Les premières fatigues se font sentir. Quelques échanges avec eux, une soupe, banane et c'est reparti direction Mare à boue que j'atteins au petit matin (vendredi à 05h51) alors que le soleil se lève à peine. Un bon petit déjeuner m'y attend avec poulet grillé et pâtes.

Quelques kilomètres après, je m'abime le tibia au passage d'une petite échelle métallique permettant de passer au-dessus d'une clôture. Rien de grave a priori mais ça saigne abondamment. J'essuie ça comme je peux avec des feuilles et repars en marchant. La longue montée vers les coteaux Kervegen, plus haut sommet de la course, en plein soleil, est ma première alerte. J'ai du mal à assurer mes pas et manque plusieurs fois de tomber.


Sous l'insistance d'une fille qui progresse à mes côtés, je m'arrête 10mn le temps de manger un peu et lire les nombreux messages sur mon téléphone. Ces 10mn suffisent pour me relancer complètement. J'ai retrouvé l'énergie qui me faisait défaut. Arrivé au point de contrôle au sommet (vendredi à 9h33), je suis arrêté par le service médical pour examen/nettoyage de mon tibia. Rien de grave mais l'infirmière me conseille de voir un médecin à Cilaos pour avis médical. Je repars dans la longue descente qui doit me mener à cette première base vie de Cilaos. Cette descente n'est pas très technique mais c’est une succession de grandes marches qui font bien travailler les quadriceps. Surtout ne pas s'enflammer, s'économiser au maximum pour la suite, d'autant plus que cette descente est longue (1100m D- sur 4,5km).


En arrivant à Cilaos (vendredi à 11h40), je retrouve en premier Clara, qui est venue à ma rencontre puis Brigitte. Elles ne peuvent pas m'accompagner à l’intérieur du stade. J'y entre seul pour récupérer mon sac d'assistance et les retrouverait à la sortie. Mais à peine entré et passé le point de contrôle, je suis happé par un bénévole m'indiquant que je suis attendu par le médecin. Le monsieur semblant prêt à me passer les menottes de peur que je ne m'enfuie, je décide de le suivre sans broncher. Le médecin me fera 2 points de suture. C'était peut-être plus prudent de s'arrêter. Après une bonne pause en compagnie de Brigitte et Clara, assis sur une chaise prêtée par un spectateur assistant qui me protège également du soleil avec son parasol (très sympa, merci à lui), je repars direction le col du Taïbit, une des 5 portes d'entrée dans le cirque de Mafate. Le point de non-retour. Si tu entres dans Mafate, tu es obligé d'en sortir par tes propres moyens. Aucune route. L'accès se fait uniquement à pied ou en hélicoptère. Mais à moins de se casser une jambe, l'organisation ne va pas t'envoyer un hélico juste pour un coup de fatigue ou une baisse de motivation. Alors beaucoup y réfléchissent à deux fois avant de s'y lancer sachant que la traversée dure une cinquantaine de kilomètres. Les ravitaillements de Cilaos puis du début de la montée du Taïbit sont d'ailleurs les grands pourvoyeurs d'abandon. Pour moi, aucune hésitation. Même si la plus grosse partie de la traversée de Mafate va se faire de nuit, je suis venu pour ça, pour m'imprégner de cet endroit. Alors je fonce dans la montée du col qui ne me paraît pas si difficile que ça finalement malgré la pente et la chaleur toujours suffocante puis dans la descente vers le prochain ravitaillement, à Marla.

Nouvel arrêt à l'infirmerie pour refaire le pansement. L'infirmier me met du strap pour bien tenir la compresse qui ne bougera plus jusqu'à l'arrivée.

A la sortie de Marla (vendredi à 16h45), je suis rejoint par un petit groupe de 4 ou 5 coureurs. L'allure me va bien alors je les suis. Nous nous retrouvons très vite à trois, sans penser à cet instant là que ce trio va aller loin, très loin. Le soleil décline et nous nous enfonçons progressivement dans la nuit noire. Alors que j'avais lu beaucoup d'infos disant que la nuit dans Mafate est généralement très froide, aujourd'hui, c'est tout l'inverse. La chaleur ne nous quitte pas. Les heures passent et nous attendons toujours un peu de fraicheur. Quoiqu'il en soit, nous progressons toujours assez bien tous les 3, Yannick, Fabien et moi-même. Les ravitaillements s'enchaînent : Plaine des Merles (vendredi à 19h05), Sentier Scout (19h40), Ilet à Bourse (21h40) et enfin Grand Place (22h35). L’occasion de profiter à nouveau de l’ambiance du Grand Raid, même dans des coins qui nous paraissent très reculés et où il n’est pas rare de croiser des habitants venus encourager et assurer le spectacle :

Jusqu’à un Père Noël, qui cherche sa Mère Noël (véridique) et qui offre aux coureurs sa tisane ascenseur censée nous aider à mieux grimper. J’avoue : je n’ai pas osé y goûter.


Puis vient un des gros morceaux de cette aventure. La montée à Roche Plate. 1100m D+ en 8km, toujours sous une certaine chaleur et après 105km parcourus. Cette montée est terrible, ponctuée de marches toutes plus hautes les unes que les autres. Très hautes quand la fatigue est bien présente. Trop hautes quand tu attaques la seconde nuit sans dormir.


Il est environ 1h du matin, dans la nuit de vendredi à samedi, et le manque de sommeil commence à se faire sentir. J'avertis mes camarades que je dois faire une pause. Et tout le monde s'arrête. Je leur dis de ne pas m'attendre, de faire leur course mais ils ne veulent rien savoir. Ils décident tous les deux de m'attendre. C'est à cet instant, dans la moiteur de la nuit au beau milieu de Mafate, que le pacte est scellé. Nous irons ensemble à la Redoute. Nous unirons nos forces pour venir à bout de cette aventure.


Un deuxième arrêt me sera nécessaire. Court, 5mn mais 5mn qui font vraiment du bien. Malgré ça, je me serais bien arrêté encore plusieurs fois mais je ne souhaite pas leur imposer un nouvel arrêt. Donc je sers les dents et nous continuons à avancer, à monter vers cette Roche Plate, sur ce chemin qui n'en finit pas. Et enfin, la délivrance. Le ravitaillement est là (samedi à 2h25), avec des coureurs allongés dans tous les coins et recoins pour faire une sieste, reprendre des forces.

Nous essayons d'en faire de même mais le changement d'atmosphère est terrible. Il fait froid à Roche Plate. Nous sommes remontés à 1250m d'altitude et le froid se fait bien sentir. Nous nous habillons avec tout ce que nous trouvons dans notre sac mais cela ne suffit pas. Au bout de 15mn, il faut se rendre à l'évidence : ce n'est pas le bon endroit pour dormir. Alors nous décidons de poursuivre notre chemin. Cette pause a malgré tout été bénéfique et nous retrouvons assez vite un bon rythme dans la descente qui suit et surtout un peu de chaleur qui nous pousse à nous dévêtir. Short et tee-shirt, c'est le bon combo. Nous enchaînons à nouveau les ravitaillements : Ilet des Orangers (samedi à 4h40) puis la passerelle du Bras d'Oussy annonciatrice de la seconde base vie de Deux-Bras. Nous l'atteignons à 7h13. Le soleil est déjà bien présent. 2eme nuit passée sans dormir et pourtant ça va plutôt bien. La micro-sieste est une nouvelle fois reportée.

Qui dit base vie dit repas chaud. Et qui dit Grand Raid dit plat chaud réunionnais. Et effectivement, nous avons le droit à un carry poulet avec riz et graines. Je pense n'avoir jamais aussi bien et autant mangé sur un ultra. C'est d'autant plus important de reprendre des forces que la montée à Dos d'Âne nous attend (c'est le nom du ravitaillement, hein ! il n'y a malheureusement pas d'ânes qui nous attendent pour nous faire la montée).


Peut-être une des dernières grosses difficultés qui va nous permettre de sortir du cirque de Mafate (800m D+ en 5km). Je prends la tête de notre petit groupe et la montée se fait plutôt bien, les jambes étant là. Tout le monde suit, tout va bien. En haut, le point de contrôle étant accessible en voiture, nous y retrouvons beaucoup de monde venu encourager les raideurs. Dos d'Âne, 132km. Nous sommes samedi à 9h30. La chaleur est montée d'un cran mais notre aventure commence à prendre une bonne tournure. Nous filons maintenant vers la Possession, prochain ravitaillement, où je dois retrouver Brigitte et Clara que je n'ai pas vues depuis la veille à Cilaos, avec un passage par le sentier Kalla où la végétation est très envahissante, nous obligeant à ralentir considérablement notre allure. Il faut rester attentif aux très nombreuses racines, parfois se baisser pour passer sous les branches ou poser les mains de nombreuses fois pour arriver à progresser à travers un enchevêtrement de rochers. Nous retrouvons ensuite une piste forestière où nous pouvons repartir de plus belle. Cela fait du bien de pouvoir courir sans obstacle. Mais malheureusement, sur cette portion assez rapide, mon pied butte dans un restant de tige de canne à sucre qui dépasse à peine et c'est la chute. Je m'abime sérieusement la paume de la main droite ce qui me vaudra un nouvel arrêt à l'infirmerie à la Possession. Je prends un petit coup au moral sur cette chute. La fatigue est là, la douleur aussi. Mais bon, il ne reste qu'une vingtaine de kilomètres, je ne vais pas abandonner mes compagnons maintenant. Ils ne m'abandonneraient pas de toute façon. Après la Possession, nous repartons direction le fameux chemin des Anglais, chemin pavé de pierres de basalte renvoyant la chaleur lorsque le soleil tape. Heureusement pour nous, des nuages viennent le masquer, une petite bruine même nous accompagne sur la montée. Il fait un peu moins chaud mais la pente, bien raide par endroit et notamment dans les nombreux lacets, ne nous facilite pas la tâche. Sans compter que nous sommes sur des pavés réunionnais : pas un seul ne se ressemble ou n'est de la même hauteur. Même ici, il faut rester bien concentré, assurer ses pas, redoubler de vigilance.

Tant bien que mal, nous arrivons à Grande Chaloupe, où je retrouve Brigitte et Clara mais où j'ai aussi la surprise de retrouver Alain, Patrick et Catherine. Que de têtes connues pour m'accueillir.


L’occasion également de photographier notre petit groupe de 3 avec Fabien à gauche et Yannick au milieu. Notre collaboration restera un grand moment de mon raid.




Il nous reste maintenant environ 14km, la dernière montée au Colorado puis la descente vers le stade de la Redoute, à St Denis. Une formalité. Les émotions commencent à affluer. Il ne faut surtout pas y penser, faire le vide dans sa tête. Nous attaquons le début de cette dernière montée. Nous savons tous les trois qu'il ne peut plus nous arriver grand-chose. Nous profitons pleinement de ce moment. Nous avons même le droit à une petite interview de la chaîne La Réunion la première qui passera dans un reportage télé le soir même. La classe. Je prends à nouveau la tête de notre petit groupe. Depuis Deux-Bras, j'assure le train dans les montées et me laisse guider dans les descentes et sur le plat. Pointage au sommet du Colorado à 16h23. Il ne nous reste plus qu'à nous laisser glisser dans la dernière descente longue d'environ 5km, avec un début assez roulant et une fin beaucoup plus technique et difficile. Mais ce n’est plus le moment de prendre des risques surtout me concernant, ayant déjà bien donné niveau chutes et petits bobos. Après 45mn de descente, nous commençons à apercevoir le stade et à entendre le speaker et sentir l'ambiance qui y règne. Et enfin, j'aperçois David et ses enfants venus à ma rencontre. Il doit rester 500m. 500m de pure émotion. Tout se bouscule dans la tête. La joie d'en terminer, la fierté de réussir ce sacré défi, la fatigue, la lassitude également après ces 44h30 de course. Mais c'est fait. Nous passons la ligne tous les 3 ensemble, bras dessus bras dessous.


Notre collaboration a été belle, longue et a parfaitement fonctionné. Nous avons survécu. Nous entrons dans le cercle des finishers de la Diagonale des Fous.



Un grand merci à vous qui m'avez supporté, porté, aidé dans les moments difficiles : Brigitte et Clara bien sûr, Juliette malheureusement à distance, Jean-Claude, Alain, Patrick, Corinne et Catherine, présents sur l’île pour cette occasion, la famille, les amis, les collègues de Geodis et bien sûr les groupes des Pas Rapides, des Fondus et du Favo.





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